jeudi 16 juin 2022

Face au mot « ludique », des lycéens en détresse

Face au mot « ludique », de nombreux lycéens qui passaient ce mardi leur épreuve du bac de français sont restés pantois.

Ce mardi marquait le début des épreuves du baccalauréat pour près de 187 000 élèves du cursus professionnel. La première d’entre elles, l’épreuve de Français, comportait le sujet suivant : « Selon vous, le jeu est-il toujours ludique ? »


Si l’on en croit Twitter, au sortir de cette épreuve de nombreux étudiants ont buté sur le terme « ludique » dont ils ne comprenaient pas la signification.

Alors le niveau de vocabulaire de la génération Z est-il en train de péricliter ? On a posé la question à une autrice, un professeur de français et une doctorante en Sciences du langage.

Ils étaient, ce mardi, 186 200 étudiants de la filière professionnelle à se lancer dans le grand bain. La saison officielle du bac pro a débuté dès 9 heures avec un examen de Français. Une épreuve qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, notamment à cause de la question suivante : « Selon vous, le jeu est-il toujours ludique ? ». À en croire Twitter, de nombreux lycéens ont séché : impossible pour eux de mettre une définition derrière le mot « ludique ».


« En effet, beaucoup parmi les élèves que je surveillais ne connaissaient pas le mot ludique, d’autres ont buté aussi sur le mot sanglot », constate Frédéric Martel, professeur dans un CFA hôtelier. Domitille Rivière, professeur de français, explique : « Connaître un mot et savoir l’employer est différent de le comprendre sans l’utiliser ». Elle poursuit : « un élève de 17 ans ne se sert pas de ce terme au quotidien, il parle plutôt de quelque chose de “fun”, d’autant que dans ces conditions, il manque souvent de confiance en lui, et le stress de l’épreuve joue aussi ». L’enseignante tempère néanmoins : « Un jeune de cet âge est malgré tout censé maîtriser ce mot, surtout que le texte de Leïla Slimani donnait de nombreux indices. Un élève qui avait bien compris le texte se trouvait parfaitement en mesure de répondre ».

« Je ne suis pas étonnée, tranche d’entrée de jeu, Aude Denizot, autrice de Pourquoi nos étudiants ne savent-ils plus écrire ? Je constate de véritables lacunes en vocabulaire depuis vingt ans que j’enseigne ». Voir « épique à la place d’hippique », « balisé à la place de banalisé » ou encore « invoqué à la place d’évoqué » est ainsi devenu monnaie courante dans les copies que corrige l’enseignante depuis quelques années.


Ce qui est « écrit est acquis »

La raison ? « L’usage massif, dès les plus petites classes, des photocopies ou des supports préremplis », confie celle qui est aussi professeure de droit à l’université du Mans. Ces polycopiés empêchent les élèves de s’exercer à l’écriture : « Si l’on reprend l’exemple du mot “ludique”, il a probablement été utilisé dès le CM2 [3e année du primaire]. Mais était sûrement déjà préinscrit sur un polycopié de travail », argumente Aude Denizot, ajoutant que ce qui est « écrit est acquis » et non l’inverse.

Un autre frein à la richesse du champ lexical ? Le manque de lecture. « C’est dans l’objet livre traditionnel que l’on puise une grande partie de son vocabulaire », note l’autrice. Un constat que partage, Frédéric Gendarme, professeur de français dans un collège privé parisien : « Mes élèves n’ont pas perdu le goût de la lecture, mais se sont éloignés des classiques, pourtant toujours au cœur des programmes scolaires. » Les mangas l’emportent sur les romans et, dès le collège, Honoré de Balzac et la richesse de son vocabulaire ne font pas le poids face à One Piece.

Si le professeur de français note bien la « difficulté des élèves à varier de vocabulaire ou à apporter de la nuance dans leur rédaction », il ne les réprimande pas pour autant. « Il faudrait revoir certaines œuvres du programme et dans le contexte de cette épreuve, contester la cohérence de l’énoncé avec le public concerné », explique-t-il.

Un vocabulaire qui aurait mué… vers le franglais ?

« Je m’interroge. Le terme ludique est-il si courant en 2022 ? Je n’en suis pas convaincue », s’interroge alors Auphélie Ferreira, doctorante en Sciences du langage. La sociolinguiste, pour qui il est important de remettre l’église au milieu du village, le mot « ludique » ne fait tout bonnement pas partie du quotidien des lycéens : « Le vocabulaire a changé. Il ne recouvre pas les mêmes zones et les mêmes âges. »

Une question de génération et d’usages qui poussent notre doctorante à se poser une autre question. « Une personne âgée connaît-elle le terme “disrupter” ? Ou “distanciel” ? Pour autant, dit-on de cette même personne âgée que son niveau de français dégringole ? ». La réponse est non (le Trésor de la langue française ne connaît pas ces mots). Mais encore faut-il se demander si « disrupter », par exemple, est du français ou simplement du franglais. En français on traduit « to disrupt » depuis des siècles par « interrompre », « déranger », « perturber », etc. Il en va de même pour « ludique » remplacé depuis quelques années en France par « fun » anglais. L’anglais déplacerait simplement le français chez les jeunes dont les sources sont massivement en ligne et souvent (mal) traduites de l’anglais.

En sociologue, avant de conclure, la chercheuse affirme qu’il faut d’abord faire une recherche : « À ce jour, il n’existe aucune étude qui compare le niveau de vocabulaire des jeunes de même profil sociodémographique sur différentes générations. »

Au Québec, ceci ne se passerait pas

Ce genre d’embarras ne se produirait pas au Québec. En effet, les élèves peuvent consulter le dictionnaire (papier ou électronique) lors des examens de français… Il suffit de baisser la barre.

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